La médiation agile
Après avoir exercé pendant 18 ans en tant que vérificateur dans le domaine du contrôle fiscal, Régis de Nicolo fait partie, depuis 2017, de l’équipe des médiateurs internes à la Direction générale des finances publiques. Deux métiers où les qualités relationnelles sont essentielles. Il nous explique ici comment il a découvert la médiation au fil de ses missions.
Comment s’est faite votre rencontre avec la médiation ?
Mon parcours est assez atypique. Après une licence en mathématiques, puis une maîtrise d’administration publique, j’ai réussi le concours d’inspecteur des finances publiques. Ce qui m’a amené à exercer la mission de contrôle fiscal dans les PME-PMI. Pendant 18 ans, j’ai été en interaction avec les chefs d’entreprises et leurs
conseils lors de contrôles fiscaux. Ce sont parfois des moments de tension, de désaccords, voire de conflictualité. Dans ma pratique, j’ai toujours accordé beaucoup d’importance au relationnel, et cela a été essentiel dans le bon déroulement de ces contrôles. Ma première rencontre avec la médiation s’est justement faite à l’occasion d’un contrôle fiscal dans une entreprise. Questionnant le chef d’entreprise sur une « provision pour litige client », il me répondit qu’un désaccord avec une entreprise l’avait amené à solliciter un médiateur. Cela m’a interpellé. J’ai cherché à en savoir un peu plus sur l’issue du différend auprès des collaborateurs au fait du dossier. Et ceux-ci m’ont assuré que, grâce à l’intervention d’un tiers extérieur, tout était rentré dans l’ordre : les commandes et les livraisons avaient repris et les relations étaient revenues au beau fixe entre les collaborateurs des deux entreprises. J’ai compris que la médiation avait rendu possible « une sortie par le haut », pour reprendre l’expression du chef d’entreprise. Cette intervention d’un tiers neutre et impartial, m’a ainsi éclairé sur les possibilités de la médiation.
Une autre occasion de rencontre avec la médiation s’est faite quelques mois plus tard, dans le cadre d’une formation en management des organisations en cours du soir. L’un des participants, chef d’entreprise, me raconta que le recours à un médiateur lui avait permis d’apaiser des tensions au sein de son équipe et de retrouver une saine ambiance de travail. J’ai vraiment eu envie d’en savoir plus sur la médiation qui pouvait donc prendre plusieurs formes ! Par curiosité intellectuelle, j’ai alors lu de nombreux ouvrages sur la médiation qui m’est apparue comme une approche pragmatique et très concrète. Moi qui venais du monde des mathématiques et des procédures, je découvrais le monde des concepts et de la conduite d’un processus structuré ! J’ai alors décidé de suivre une formation certifiante de médiateur.Ce qui m’a permis de commencer à pratiquer, de façon bénévole, dans des médiations de voisinage, parfois en co-médiation.
Comment avez-vous intégré la cellule de médiation interne à la DGFIP ?
En 2016, j’ai eu connaissance de l’existence en interne d’une cellule de médiation. J’ai aussitôt pris contact avec les différents interlocuteurs responsables de la médiation interne à la DGFIP. C’est ainsi que mon engagement dans la médiation s’est concrétisé professionnellement. D’abord, à 30% de mon temps, en parallèle de ma mission de vérificateur. Ce qui m’a permis de découvrir les processus de médiation interne existants. Puis à temps plein. Mon parcours dans la médiation interne s’est donc construit pas à pas, avec des déclics progressifs. Des portes se sont ouvertes, et avec elles, le champ des possibles ! J’ai adoré le métier de vérificateur ; je me retrouve aujourd’hui pleinement dans celui de médiateur !
Quel est votre périmètre d’action ?
Au début, j’ai mené des médiations interpersonnelles, puis collectives, principalement en médiation de conflit. Celle-ci a pour objet de contribuer à améliorer des relations interpersonnelles difficiles entre agents, chef de service et agents ou entre encadrants, au sein de différentes structures internes de la DGFIP. Ce qui représente potentiellement près de 100 000 agents. En tant que médiateurs de l’équipe de la médiation interne, nous pouvons intervenir auprès de tous les collectifs de travail, dans toute la France, en présentiel ou en distanciel.
Organisez-vous souvent des entretiens de médiation en distanciel ?
Avant la crise sanitaire, je voyais des freins dans le mode distanciel. Depuis, cela nous a amenés, au sein de l’équipe de la médiation interne, à engager une réflexion sur nos pratiques. Dans des conditions qui respectent la confidentialité, le distanciel est aujourd’hui une modalité d’intervention envisageable à la DGFIP. En effet, cela peut faciliter les échanges, pour des raisons logistiques et de déplacements évidentes. On peut aussi y avoir recours par exemple pour la conduite d’entretien individuel ou après les entretiens en présentiel, pour un dernier point avant de ciseler l’accord de médiation par exemple. Pour certains, ce mode d’intervention permet aussi de démythifier la démarche de médiation. Le distanciel peut en effet ouvrir des possibilités d’expression, libérer la parole, mettre en mouvement. De chez soi, j’ai pu observer que les médiés s’ouvrent parfois plus facilement à l’échange, disent d’eux plus de choses, se surprennent même à s’exprimer plus largement que dans leur cadre habituel de travail. Étonnement, la médiation en distanciel peut permettre d’aller un peu plus vite et un peu plus loin dans la recherche de solutions. Dans certains cas, lorsque la relation est trop tendue et qu’un échange autour d’une table est inenvisageable pour les médiés, le mode distanciel est la solution qui permet à la rencontre de médiation d’avoir lieu.
La médiation de projet est développée depuis ces dernières années à la DGFIP. En quoi consiste cette approche ?
Cette approche, qui fait aussi partie de mes missions aujourd’hui, permet d’anticiper les conséquences relationnelles inhérentes à tout changement ou réorganisation. Il s’agit d’accompagner un collectif de travail autour d’un projet, sur le versant relationnel. Cela permet aux agents concernés qui le souhaitent, de réfléchir en amont à leurs futures interactions, dans le cadre de la création d’un nouveau service par exemple. En respectant rigoureusement le cadre de la médiation, l’objectif est d’inviter les protagonistes à réfléchir sur la façon dont ils projettent leurs relations futures, sur les éventuels irritants qui pourraient perturber le projet, sur ce qui pourrait créer de l’incertitude ou de l’inconfort. Mais aussi, sur ce qui pourrait créer une opportunité de progression. Concrètement, après une phase introspective de l’individuel vers le collectif, des travaux en ateliers sont organisés pour partager les besoins, les valeurs, les points de convergence et de vigilance. S’ensuit la co-construction d’un plan d’action, restitué au commanditaire interne, et un retour d’expérience, 3 à 6 mois plus tard. La médiation de projet est un outil de prévention qui permet de renforcer la cohésion et la communication au sein des équipes en période de transformation. C’est une véritable démarche de médiation préventive.
De vérificateur à médiateur, vous avez dû faire preuve d’agilité !
Mon parcours m’a incité à faire un pont entre mes deux métiers.
La dimension relationnelle est évidemment au cœur de mes interventions de médiation, c’est aussi une composante essentielle du métier de vérificateur.
D’expérience, on sait en vérification que la manière dont les échanges se passent avec nos interlocuteurs a une influence directe sur le contenu de l’action de contrôle et sur ce qui se produit pour chacun. En 18 ans d’exercice de ce métier, j’ai vécu de nombreuses situations parfois complexes ; je me suis dit que les vérificateurs pouvaient avoir besoin d’un espace de parole sécurisé pour échanger entre pairs sur leurs pratiques relationnelles en contrôle.
“J’ai adoré le métier de vérificateur ; je me retrouve aujourd’hui pleinement dans celui médiateur !”
Lorsque je menais en parallèle ma mission de vérificateur et celle de médiateur, j’ai pu à partir de ce constat partagé initier une proposition d’accompagnement à destination des vérificateurs pour travailler spécifiquement cet aspect du métier.
Je me suis ainsi formé à l’analyse de pratiques et ai proposé des groupes de co-développement afin que ces acteurs puissent partager leurs problématiques, liées notamment à la sécurité ou aux tensions relationnelles lors des contrôles fiscaux, et repartir avec des pistes d’actions concrètes. Aujourd’hui, en tant que représentant national ASEP (Atelier structuré d’échanges de pratiques), j’anime un réseau d’une vingtaine d’animateurs que je forme à la pratique du co-développement, en partageant certains outils du médiateur. C’est l’esprit de la médiation au service d’une composante métier en somme ! Pour moi, il est essentiel d’apprécier la médiation dans une optique préventive, systémique, au-delà de la gestion curative des conflits.
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